LA CHANSON DU BOURRICOT
Après bon vin, dit-on, se doit bonne monture :
Elle seule sachant retrouver le chemin
Du lit où se ruer, d'une fière cambrure,
Ell' guidait mes sabots balourds et sans entrain.
Par le mors tenait-ell' la fébrile droiture
De mon trot lent, dormeur, trop bourré et bourrin
Quasi éteint, prêt à s'étaler en pâture.
Courra mieux l'étalon aux chantants lendemains.
La cavalière, pourtant, d'une homonyme allure
Avait misé sur moi à 69 contre un
Pour dégrafer galon gaulés sous sa galure
D'un galop dégradant les pires galopins.
Mais le coup d'étrier m'avait fait la figure
Piètre et pâle, j'étais rond comme une queue de burin
L'amazon' n'éveillait hélas sous ma bure
Que l'eunuque, le hongre et point le bon poulain.
La course terminée, au bon soin d'Epicure,
La prudence imposait de m'faire menu fretun
Filer aux écuries et n'en avoir que cure
De la bête de somme qui sommeille en chacun.
A peine déferré à l'onirique azur,
A peine m'afessais-je comme un sombre crottin
Qu'elle se mit en selle en ôtant ses parures
Et en quatre afin que je change de dessein,
Le dodo délicat quand on est dos au mur,
Je me sentais brosser dans le sens du crin
La bombe sous mes yeux roua son encolure
Puis vint décroupionner, débusquant mon chanfrein.
Mon aubin somnolant prit soudain la mesure
De l'aubaine huant à l'oreillard atteint
Comme un aube avenante s'étend dans les nervures
De la nuit et répand en elle son venin.
Rebutant les moutons décomptés dans l'usure
Comptar'bourai-j' les laines détricotant leurs points
Et de l'à poings fermés, s'en vit une ouverture :
Le bâton du berger n'a qu'à se tenir bien
Chassant mon bonnet d'âne et ses moutons d'panur-
Je fis de l'haridelle un palefroi malin,
Un fantasque pégase déployant l'envergure
De sa foudre perçant en des éclairs divins.
De sa motte qu'astral, j'encerclais sans armure
Sans reproche et sans peur, sans gêne, je maintins
Le siège, constellant toute sa quadrature
De baisers retenant le lunaire déclin.
Pour sur aussi peu couard que le vieux roi Arthur
Et tout aussi couillu qu'un lanc'lot, qu'un Gauvain,
De mon couard s'élançait un tel excalibur
Qu'on en décrocha, nus, l'étoile du matin.
Saoul, sur la table ronde, je cabrais la stature
De ma geste enchantée, d'un épique câlin,
Inspirant mes quatrains sur une tablature
Désarçonnant les pieds de mes alexandrins
Sa jartière en bâillon de ma large embouchure,
Fus-je prime à jouir, honni qui tôt y vient,
Son ruban bleu m'abstint de hennir des injures,
L'ivresse me laissa le goulot dans la main.
Mais la bravoure sait qu'il est vain de conclure
Trop vite et qu'à l'essai, on est que trop humain,
Madame, laissez donc cette désinvolture
Et revenez à moi tant qu'il vous appartient.
« Mon pauvre canasson, il fait jour et je jure
Qu'en danseuse à dada, vous me fîtes du foin.
Les quatre fers en l'air, contre votre armature
Je laiss'rai mon royaume. Hélàs, je n'en ai point. »
Elle dit que c'est caus' de sa déconfiture,
Qu'elle eut vendu sa hampe au boucher chevalin
Dont la prospérité est une valeur sûre
Quand on aime le steak sans parasite aucun.
Je l'eus mangé tartar', elle se mariait, torture,
A un carne incarnant destin des plus vilains...
A combien de chevaux peut rouler sa voiture,
Sa mustang importée des westernes ricains...
Je suis toujours charrette et j'ai le sang impur,
La tête de bourrique et je suis comme un crin
Toujours sur mes grands ch'vaux, ruminant nourriture
Que seuls chevaux de bois prennent pour un festin.
. Dans l'horizon lointain, je soigne ma blessure.
Les grassets harassés, la touffe en meul' de foin,
Ma peau se zèbre enfin des solaires rayures
Et à l'état sauvage, comme hier, je reviens.