La Cleptomane & Le Barbelé
Ce n'est pas mon pays et celui-là,non plus, j'étais presque entre les deux
Ai-je l'air, avec mes yeux, vers moi, dans mon verre ou sous la lune, de quelqu'un qui veut grignoter la terre plus vite qu'elle ne se donnera à bouffer ?
J'ai des babouches trop petites pour mes pieds
Et des pieds trop petits pour ces petits pays que l'on veut nous laisser,
Alors, j'ai dit à mon copain Miklos d'aller prendre le bout du barbelé, là-bas, au loin, et moi, j'ai saisi l'autre bout, on s'est un peu griffé avec leur vieux métal rouillé, mais on a fini par le tordre, on l'a enroulé et du coup, on s'est retrouvé au bout de nos enroulades, on était content, on s'est enlacé,
Un petit homme avec un gros ventre et un lorgnon, le costume élégant, est venu nous enguirlandé et Miklos lui a fichu un coup de boule. Il saignait du nez sur sa chemise toute blanche et Miklos lui a filé l'adresse de sa sœur qui tient un pressing.
Le gars est arrivé chez sa sœur dans sa longue voiture et ils sont tombés amoureux l'un de l'autre instantanément, si bien qu'elle a arraché sa chemise avant même de l'avoir lavé. Ils sont restés au lit dix-huit jours et le dix-neuvième, elle a décidé de faire un gueuleton pour fêter leur fougue amoureuse.
Miklos m'a invité.
Il y avait trente-sept personnes à table. Je n'en connaissais que six. Elle avait fait ça sous forme de buffet où chacun devait se servir. Carottes rappées, maïs grillé, darnes de lotte, et de la viande de chien errant parce qu'elle trouvait les errants plus tendres.
J'ai posé ma main sur une louche de vinaigrette en même temps qu'une demoiselle qui s'appelait Zerna. Ça m'a fait doux et chaud aux doigts. Elle avait de longs cheveux bouclés sombres et des yeux pareils. Nous sommes allés nous câliner tranquillement dans la cour. Rien de bien cru mais des promesses, tout de même, d'une tendresse sauvage qui échaudait, par frissons, ma peau.
Nous sommes revenus à la louche qu'on avait délaissé, je l'ai servi d'abord puis elle m'a servi et la vinaigrette qu'elle faisait soigneusement couler dessinait sur mon maïs la forme des chiffres de son numéro de téléphone. Nous nous sommes dit à plus tard.
Une vieille grand-mère qui se retournait brutalement a renversé mon assiette avec la prothèse en plastique de son bras et tous les chiffres étaient éparpillés au sol. Je ne faisais plus la part des six et des neufs, un huit s'était dénoué, le maïs en avait même explosé un. J'ai crisé:
" - Putain mais vieille bique, tu peux pas faire attention, merde !
C'était la mère de Miklos et c'était mon tour de coup de boule, je ne l'ai plus jamais vu après ça. Zerna, quant à elle avait disparu et le petit homme avec un gros ventre et un lorgnon m'avouera plus tard qu'elle n'était pas invitée et qu'elle s'était barrée avec tous les porte-feuilles, y compris le mien.
Le lendemain, ils avaient installé un nouveau barbelé et j'ai vu Zerna de l'autre côté. Elle me souriait avec son grain de beauté devant la tempe.
Un jour de printemps, les hirondelles s'étaient amusés à picorer les nuages et il s'était mis à pleuvoir contre l'avis du présentateur-météo. Je me suis abrité sous un hall de grand immeuble gris fissuré et une longue voiture s'est arrêté devant moi. C'était encore ce petit homme, pour qui je n'avais aucune sympathie et que j'étais pressé de voir sortir de mon histoire.
La vitre s'est ouverte comme dans un film de gangster. Il m'a tendu un paquet recouvert de papier journal. J'ai inspecté et j'ai déchiré l'article sur le gisement de pétrole découvert à trois kilomètres de chez moi. Sous l'emballage, c'était mon portefeuille. J'ai dit:
" - Cool ! Mon portefeuille ! Il était où ?
La mère de Miklos venait de mourir en délivrant le secret de sa cleptomanie.
Le petit homme est sorti de l'histoire avec sa longue voiture et son pot d’échappement a ponctué le ciel des trois lettres du mot "fin" dont une hirondelle s'est pris le N en pleine gueule.