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MODOU, VOLE !

Cirque // Théâtre

Créé en 2017 en résidence à l'Institut Français de Dakar ( Sénégal)

Texte et mise en scène: Archibald Aki d'après l'histoire de Modou Touré

Avec Isa Luna & Modou Touré.

Un récit initiatique

 

 

Le spectacle vient tout d'abord d'un besoin de Modou de raconter son histoire. Depuis quelques temps, ça le démangeait. Si aujourd'hui, il est l'un des piliers de la troupe de cirque Sencirk et dispense des ateliers de trapèze un peu partout dans Dakar, s'il est aujourd'hui un jeune homme accompli et pleinement épanoui par cette passion devenue son métier, c'est justement cette stabilité, cette maturité actuelle qui l'a poussé à s’arrêter pour faire le point, regarder derrière lui, prendre du recul pour mieux se comprendre et pour franchir le pas de partager son histoire.

Modou est né en Gambie, à la frontière sénégalaise dans une famille très religieuse. Son père s'évertuait à donner à ses enfants une éducation coranique rigoureuse. Le petit Modou est, quant à lui, un enfant turbulent, dispersé, joueur, ayant de grandes difficultés à se concentrer.

A l'âge de dix ans, son père décide d'envoyer Modou chez son oncle, également propriétaire d'un daara qu'il tient d'une main de fer. En l'éloignant de son foyer, sans un au revoir à sa maman, son père espère ainsi que l'enfant se disciplinera et retrouvera le droit chemin.

Face à cet abandon et à la violence de son nouveau tuteur, Modou décide de fuguer. Du haut de ses treize ans, Modou s'enfuit en courant, quitte la Gambie, rejoint d'abord Kaolak, mendiant de quoi manger, errant, dormant entre deux voitures, puis arrive à Dakar où l'errance est encore plus cruelle et féroce.

Comme un miracle, il passe la frontière de l'Empire de l'enfant, attiré par les rires et les jeux des gamins de son âge. L'institution sera sa terre d'asile où le jeune talibé reprendra sa vie en main jusqu'à la découverte des arts du cirque où rigueur et discipline s'exigent tout autant mais d'une manière ludique beaucoup plus adaptée au caractère, à l'envie et à la curiosité de ce jeune « héros » improvisé.

De cette réinsertion par l'art, s'ensuivent rencontres extraordinaires, anecdotes du monde, créations, voyages... De quoi faire de l'enfant des rues l'artiste qu'il est aujourd'hui : humble, curieux, impliqué et travailleur.

 

 

Une Conversation avec la Mémoire

 

 

C'est à ce moment précis que débute notre histoire : Modou s’arrête soudainement sur son chemin. Et les aiguilles de l'horloge, suspendue sur sa tête comme un corps sur un trapèze, font de même. Une bulle dans le temps. Il est grand temps justement de marquer un temps d'arrêt. Il ne s'est jamais retourné sur lui-même et voilà que l'horloge se détraque : en tombe une créature bavarde et insolente. La mémoire s'était endormie dans le mouvement, bercée. Il aura suffi de cette pause abrupte pour qu'elle tombe de son perchoir et vienne titiller l'enfant grandi sans s'en rendre compte.

Il n'y a que deux personnes en scène. Et pourtant... De ce duo-duel passionné va éclore un florilège de personnages : des rôles essentiel comme la mère attentionnée, le père sévère, ou l'oncle autoritaire aux seconds rôles anecdotiques (ouvriers, policiers, mam gargote ) en passant par le public, ici et maintenant, hier et là-bas.

Toute la pièce se passe dans la tête de Modou, désireux de se projeter le film de son existence avec tout ce que cela implique de fantasmes, de fantômes, de faux-souvenirs, de détails ensevelis. C'est à la fois une histoire d'amour et un combat. La mémoire elle-même peut se tromper autant qu'elle déterre, ou plutôt dessable, des choses qu'il avait pris grand-peine à oublier. Elle peut-être violente, affectueuse, sadique, dans l'erreur, tendre, malléable ou intransigeante.

Sur le plateau, quelques parpaings, un monticule de sable, un tissu suspendu, deux trapèzes. Ces derniers offrent, outre l'altitude de certaines hiérarchie, l'occasion de se suspendre au dessus de la vie, en bas, de contempler les scènes rejouées, déjouées. Les parpaings, décor de son enfance, sont le symbole de la construction et de la déconstruction et en appelle également aux façades du paraître autant qu'au mur qu'on s'érige pour se protéger, se cacher pour pleurer et même escalader pour aller de l'avant, pour aller de l'ailleurs.

Le sable, terrain de jeu autant que poussières d'instants qui filent entre les doigts. Enfin, le tissu représente la douceur de la mère, le cocon, le coussin contre lequel se blottir, la couverture, il s'arrache et se noue...

Il y a dans la pièce un rapport fusionnel entre ces deux personnages qui s'aiment et se haïssent, s'enlacent et se cognent, exactement comme les souvenirs qui s'entrechoquent, pleins de joie, d’allégresse, d'espoir ou au contraire, de tristesse et de désillusions.

 

Les bon souvenirs, dit-on, font pleurer et les mauvais, rire. La pièce oscille, de tout son long, entre ce rire et les larmes. Encore là un aspect où les arts du cirque nous envoie de leurs clowns. Ne sont-ils pas, par définition, un arrangement de la misère humaine par le rire. Il y a, dans les scènes de Modou errant, l'exigence de ne jamais sombrer dans le misérabilisme, où le rire est la meilleure occasion de se battre, d'en découdre, d'en démordre. Le spectacle doit continuer et, bien qu'emprunt de douleur, le spectacle se doit d'être un « divertissement » qui, comme tout bon numéro de cirque, convoque la peur et l'amusement, le frisson et le rire franc.

N'est-ce pas là le point commun entre le travail de la mémoire et la scène ? Un trafic d'émotions.

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