SANS QUEUE
NI TETE
Sa tête était sortie du bitume et il appelait ça être né.
Le corps n'avait pas suivi.
Il était coincé là, chanceux que ce fut un trottoir et il se demandait pourquoi. Pourquoi lui, pourquoi ça, pourquoi ce coin de rue-ci, pourquoi pas même un bras.
Et merde, ne se répondait pas.
Une femme est passée tout à l'heure.
Elle n'était pas du quartier.
Elle s'est arrêtée net.
" Il y a longtemps que vous êtes comme ça ?
- J'ai vingt-cinq ans."
Ils se sont mis à papoter, elle lui a apporté des livres et lui a tourné les pages, ils ont échangé des points de vue, ils ont ri, elle lui a montré sa culotte qui était toute mouillée et ils se sont même embrassé, un jour.
Le lendemain de ce baiser, elle a décidé que ça suffisait.
Qu'il était temps, et d'utiliser les grands moyens pour le libérer.
Elle voulait se promener avec lui, faire l'amour, cueillir des fruits très hauts, qu'il attrape le truc sur la grande étagère, qu'il s'agenouille à ses pieds.
Le marteau-piqueur est venu un mardi.
Elle ressemblait à un chef de chantier. En plus sexy.
Lui, il était à la fois excité et terrifié comme un enfant qui apprend à nager.
Le son de l'engin était insupportable et ses dents en tremblaient.
Quand enfin, le bitume fut percé, puis fissuré, sa tête était tombée ainsi que ses paupières.