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COMPTER LES

SERPENTS AVANT

DE S'ENDORMIR

1 // L'APPARITION

Je me revois crier puis butiner les bouts

de brillance déchiquetée par le tchou tchou;

et les fragments de mémoire.

Donne-moi encore.

Donne-moi encore.

J’ai saisi sa tête, sa bouche ne parlait plus; il dort

mais lui parlait encore:

“- Regarde, regarde: des mouvements en perte, et la hâte qui nous brûle, et les visages en nage, les faces grimaces en écho, des silhouettes aveugles et anonymes, des fantômes muets et affamés convaincus qu’un meneur a des yeux, regarde toi, violé par le reflet de ces miroirs sans teint, fabricant de larmes amers dans lesquels tu te noies, ou plonges, abysses ténébreuses où la lumière n’est plus que le souvenir blafard d’un monde plaqué-or, où l’on joue en coulisses le spectacles des ombres avant d’aller se perdre dans la désillusion; paysage fini où se meurent à l’infini figurants, où planent, trafiquants de songes et de mauvaise augure, des corbeaux charognards qui dessinent dans le gris de funestes esquisses et qui peignent leurs motifs de nos sangs à couler.”

Là. Là, non. Je ne rêve plus. J’entends des voix, c’est toi ? C'est quoi ce charabia ? parle-moi encore, c’est toi ?

non, ce n’est pas ta voix,

qui est-ce, ce n’est personne, ça ne peut-être que toi

Pourtant ! nous sommes seuls, j’ai ta tête

dans la main comme un ballon de basket,

personne d’autre que ta tête et la mienne, mes yeux

dans tes yeux,

et les tiens au delà,

mais t’es mort, alors qui dit ça,

qui parle, c’est peut-être à l’intérieur que ça se passe,

un lutin aurait trouvé une petite place

entre deux souvenirs;

les souvenirs,

c’est actif, les plaques de tombes, c’est fixe;

les photos, c’est fixe;

mais...

... les souvenirs...

... ils bougent, ils circulent, c’est du sang,

des battements,

du cœur, la danse des cellules,

Une chose, un bidule,

d’où ils creusent un tunnel,

Ramasse l’eternel

qu’est-ce que je dis, moi, hein ? qu’est ce que je dis ?

je déraille, ça aussi,

c’est marrant, non ? dérailler,

les trains ne déraillent plus ou rarement mais jamais

pour éviter de broyer les errants, somnambules sur la voies,

oui, je deviens fou. Non, ce n’est pas toi.

Oui, je deviens fou.

- Vrai ? chuchote, tout doux,

l’objet halluciné, statufié dans son riréél fantôme,

lutin famélique de papier, un bâtard de spectre et d’homme teint comme neige

et la tâche rouge des lèvres;

et ma bouche bulle, fait bouillir de l’eau

qu’elle bave, venin de crapaud,

devant l’éclat d’intemporel, de sensualité et de mystère.

- Qu’est-ce que tu fais dans ma tête ? Je dis.

- C’est douillé. Il dit.

Je suis là depuis longtemps.

Je dors. Parfois, et même assez souvent,

je te parle mais tu ne me m’écoutes pas.

J’existe.

J’existe.

Parfois, tu m’entends

Parfois et pas assez souvent,

même si tu ne m’écoutes pas.

« - Tu me dis quoi ?

Je te dis je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime

je t’aime je t’aime je t’aime. et je dis:

- Tant que ça ? et il dit:

- Plus encore.

- Plus encore ? Quelqu’un qui m’aime de la sorte, c’est malheureux qu’il soit dans ma tête et...

L’animal me dédrape, me dépeause, me découvre à son œuvre, pyrogravée de l’intérieur, mon corps devenu le manuscrit d’un alien, à faire réfléchir, lâche-moi, lâche-moi, c’est trop tard, je suis encerclé, ma carcasse barbelée de baisers combustibles, ça brûle, je brûle, qu’écris-tu encore ? le cocktail bizarroïde d’angoisse, de curiosité affamée, de désir bégueule et froussard et la queue du puceau en réveil délicieux, la fragile, l’immédiate, l’enchanteresse, à la fois gênante et chaleureuse, poétique.

- je viens t’apprendre à battre du cœur.

Et le lutin s’expulse, met sa langue dans ma bouche et c’est un baiser étrange, je l’ai partout sous moi, à ressentir jusqu’au bout du vide la moindre caresse de la flamme dans le ventre et dans le dos, sur la gueule, mon cœur se met à jouer vite, puis s’arrête net, en veille, et reprend, tic tac tic tac tic tac tic tac

- Arrête ça, arrête ça tout de suite !

Je me suis retiré, reculé de trois pas et le bruit des horloges s’est éteint à l’intérieur et j’ai entendu la mer, les vagues, le vent, tout ça, ça chante, et la main du lutin vient se poser sur mon torse, mon téton dépasse, dressé entre l’index et le majeur, je jouis, ça explose, les paupières closes, je vois dans le noir un radeau qui flotte, c’est le brouillard et la nuit; en figure de proue, le buste de mon frère qui, la bouche ouverte, avale, vague après vagues, d’énormes poissons de toutes les couleurs, je ne comprends pas et je crie.

Oui, je crie.

Je crie quand l’horloge tactique me dévoluptise et concrétise l’image, enterre dans un fantasme ma nuit enciellée, où est-il, qui est-il, je crois une bille de feu, sensible comme clitoris, il s’est endormi dans un creux, un volcan de peau et tout est fini lorsque mes pieds, peu importent l’ordre dans lequel ils s’aparquètent, touchent le sol terrible, et me font retomber de l’état incompréhensible de grâce, atterrir après avoir cru en vain que je flottais tel un fakir en lévitation, gobant une étoile filante qui le balance, astral et chancelant, enfant sur l’arbre mort, comptines de petits princes burinées sur mon corps vieilli.

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