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CICATRIQUE

De traces et de traits, de feutre et de foutre

Se nourrissant les unes des autres, l'écriture, la scène et l'illustration ont dans l'univers d'Archibald Aki, grandi ensemble comme des gamins inséparables dans la rue, se cognant parfois et se réconciliant toujours. Liant expressionisme et psychanalyse à une naïveté submergée, Aki dessine à la rature, singulière et brute, comme si chaque essai, chaque trace, chaque tâche, étaient importants, repassant sur les traits échoués à la manière d'une diseuse de bonne aventure qui chatouille les lignes de vie d'une main en s'étonnant des cicatrices .  Réponses aux questions fréquemment posées lors des expos.

Quand avez-vous commencé à dessiner ?

" J'ai toujours gribouillé. Sur mes cahiers d'écoliers, au dos des sous-bock, à même la peau. Avant même de proposer "Du Vivant des Gueux" à l'édition, le personnage de Bernard le loubard était déjà story-boardé de manière très ingrate, "cheap" comme on dit dans le jargon des éliteeeuhs culturelleeeuuuhs.

Quand Les Venterniers m'ont proposé la parution du bouquin, je me suis remis au travail. Je venais d'arriver au Sénégal, je ne connaissais personne et n'avais, la journée en période d'hivernage, qu'un ventilo pour compagnie. Et du temps. 

Voilà comment le feutre est devenu cet amant qu'on serre compulsivement et qu'on peine à lacher, qu'on prend avec nous partout et qu'on décapuchonne dès que possible. Malléable, peu encombrant ( même si de plus en plus), on l'emmène en virée nocturne autant qu'aux pique-niques champêtres. Et il ne me lâche plus.  "

Vous étiez très noir et blanc et désormais, ça explose de couleurs... 

" Est-ce le fait d'avoir vécu au Sénégal  ? La lassitude du noir-gris-blanc ? Je ne sais pas. Je me suis laissé tout naturellement débordé par la couleur." 

Vous évoquez souvent le terme de "cicatriques": titre d'expo, autoportrait cicatrique... 

" J'utilise très peu la gomme et le crayon apparait toujours. Je ne repasse jamais sur le crayon, je l'encercle, je l'assiège, je tourne autour et il reste. Ca date de pas mal de temps. Cicatrique, c'est le lien entre le fond et la forme, la psychatrie et la cicatrice. Ca parait un peu pompeux comme ça mais j'ai trouvé ce truc interressant, l'idée que tout marque, laisse une trace. Je crois aussi que le suicide de mon fère qui s'est jeté sous un train à vingt deux ans m'a marqué à un tel point que je dessine aussi pour me débarrasser de l'obsession en tentant de me soigner. C'est une psychanalyse. La voie ferrée est d'ailleurs un leit motiv dans la plupart des tableaux. Je peux dessiner plus de vingt heures par jours, c'est à la fois un échapatoire, un exutoire, un miroir déformant, une conception du monde, un machin politique, une rêverie poétique et une forme de psychothérapie. Il y a, j'espère, autant de tendresse que de désaroi, de loufoquerie autant que du ressenti d'être au monde. Depuis la naissance de mon fils, je rajoute des pandas, des dragons, des lions, des tracteurs ( et il les cherche, façon "où est charlie" ) et ça n'empèche pas les attentats, l'intégrisme de tout poil,  l'usage d'armes de guerre par les policiers, le traitement scandaleux des migrants, et même les souvenirs douloureux, la part d'intime, le désir, le sexe, la mort,  la parentalité."

Votre dernière oeuvre, " Dérèglement Climaxique " fait plus de quatre mètres sur deux et est composée de 63 feuilles A3. Est-ce que vous savez, dès la première planche, où l'ensemble va vous mener ? 

"Il y a, depuis que je dessine en grand, une naïveté très enfantine qui se laisse engloutir par la cruauté du réél. J'aime à comparer ma façon d'aggrandir lentement cet univers, planche par planche, à une ville playmobil à laquelle on rajoute, au fur et à mesure, de nouvelles architectures et de nouveaux mondes. Des indiens, des pirates, la vie bourgeoise.  Ajouté à cela, le morcellage du puzzle...

Pour le "Dérèglement climaxique", je suis parti de la planche avec l'attaque de la cabine téléphonique par le pangolin et la crevette géante. Je l'avais appelé " Dérangement climaxique"; les personnages étaient sans aucun doute en train de faire l'amour dans la cabine. J'ai remonté la jetée jusqu'à une ville forteresse etc etc. Puis j'imagine alors douze planches puis 16 puis 24, 36, avant de concevoir le couple au premier plan, à échelle du spectacteur. "

Dans vos tableaux, petits ou grands, les références à la religion sont très présentes... 

"Je dois avoir un gros problème avec  Dieu. Ou pas. Il m'emmerde. En tout cas, cette notion de créer un monde capable de s'étendre à l'infini est l'inverse de la conception divine. Je me dis parfois, à la légère, que lorsque tous mes tableaux se rejoindront dans la même oeuvre, et peut-être de manière circulaire, alors il sera temps de mourir.  

L'influence de Bosch ou des maîtres italiens qui se servent des sujets religieux pour remettre l'Homme au centre est évidente. On constate aujourd'hui un retour aux religions qui est alarmant et sans doute lié à la crise, voire au déclin de la civilisation ultralibérale. On croyait être débarrassé de tout ça ( en tout cas dans la sphére publique ). Au contraire,  retour en force des radicalismes réacs, de l'obscurantisme. La peur, toujours la peur de l'autre, de la misère, du climat qui part en vrille, pour ses enfants, peur contre laquelle Dieu aurait peut-être un effet placebo. 

D'où l'interêt de reprendre la forme du polyptyque, jusqu'au côté "vitraux d'église", de réutiliser les postures religieuses, les personnages, les prophétes de toutes étiquettes, la madona col bambino, Marie-Madeleine, Eve et son appétit légitime et de redonner à l'Homme et la Femme la place centrale, de redorer le blaze de l'humanisme et, s'il faut aller plus loin, de resacraliser l'athée, le païen, le mécréant qui, cette dernière décennie, a pris du plomb dans l'aile et pas que dans l'aile d'ailleurs. Tout ça est, encore, comme mes publications écrites, très anarchiste et teinté d'un pessimisme "no future" très punk à la limite du nihilisme qui témoigne, dans la simplicité du trait autant que dans l'absurde de mon admiration pour Roland Topor." 

Beaucoup de vos personnages sont couverts de masques...

"Il s'agit de clins d'oeil à la Commedia del'arte. L'écriture, le dessin et la scène se sont toujours nourries les unes les autres. Je suis entré "dans" la Commedia à mon arrivée à Paris grace à André Fauquenoy et Laurent Rochut en intégrant leur troupe qui faisait des spectacles pour enfants. La retranscription des schémas sociaux y est universelle et, autant à l'écrit avec mes Gueux et Du Ciel et de La Terre, que sur les tableaux, elle m'a toujours servi à y amener une dimension politique. Mettre un masque de Pantalone à un gros patron qui s'empifre, un Arlequin à un prolétaire impertinent, un capitan à un policier permet d'appuyer sur les clivages sociaux qui sont encore très présents aujourd'hui et, en un seul coup d'oeil, de resituer le personnage, de savoir à qui on a affaire."   

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