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J'avais rêvé que nos folies éclosent et gercent, caliméros dans leurs coquilles, leurs petites prisons chrysalides; c'étaient des petits nous, tout pâles, quasi livides, et ces mini-folies qui s'écaillent portent un chapeau sur la crinière, chapeau melon d'un noir torride comme une nuit perdue en mer et une lame entre les dents.

Dans mon rêve, y avait l'enfant. Un minois mignon et innocent. Il saisissait la lame comme on prend un objet anodin, une brosse à dent, un peigne, le journal, un stylo-bic. Et il planta le couteau, naïvement, comme s'il était là pour ça, dans le dos du caliméro

" Qu'as-tu fait mon enfant ? crie la folie dans son sanglot.

" Eh ! répond l'enfant, insolent: t'as qu'à te défendre !

" Eh, répond-t-elle, en s'essuyant les yeux et les joues, pourquoi as-tu fait ça ? Je voulais juste te montrer quelque chose... Sors ce couteau de mon dos...

L'enfant obéit et la plaie, grande-ouverte est sale.

" Viens ! dit-elle et s'en va, l'ivresse titubante des crépuscules dans le pas et le cœur, suivi par l'enfant dont le pied hésite et le regard, vers l'arrière, s'inquiète à mesure qu'il s'éloigne de son berceau.

" Où qu'on va ? dit le gosse et elle répond:

" Ailleurs.

Et ils marchaient.

" C'est loin ? Maman veut jamais que j'aille trop loin...

" Ta mère n'est plus là, kid !

" D'où qu'elle est ?

" Au supermarché, elle est partie chercher ton train électrique pour noël. Allez ! Grouille-toi maintenant.

Ce ton, quelque peu agressif, le brusqua mais il était réjoui quand même de savoir qu'il aurait le cadeau qu'il avait demandé dans sa lettre au père-noël en découpant les prospectus. Sa mère lui avait dit que le père-noël était trop vieux pour les livraisons et que c'était désormais aux mamans d'aller les retirer au pôle nord.

L'enfant et la folie marchèrent longtemps et péniblement. L'un avait des jambes trop petite. L'autre continuait à perdre son sang. L'enfant s'impatientait et la nuit tombait:

"D'où que c'est, ton ailleurs ?

" Tais-toi et marche, kid ! Tu verras...

" Quoi ?

" Là-bas, il y a des hommes et des femmes qui n'attendent de toi qu'un désir dans ton œil. Là-bas, il y a la mer et le sable, du sable libre qu'on ne compte pas et qui ne compte pas, il y a l'instant, là-bas, et ton zizi se devra dur et doux pour le pénétrer, celui-là, et pour sentir l'éternité au bout du cri. Il y a là bas l'oubli de la frayeur car son rêve est gercé comme une folie tue, mutilée...

" Le rêve à qui ? Qui crie ? dit l'enfant, de qui qu'tu parles ?

" ... tout cela va muer, dans l'inconscient, la gerçure, dans l'inconscient, ce désir; au réveil.

" Je veux rentrer. J'ai peur.

" La lumière dans le velux de ton quinze mètres carré et puis le poète qui hurle on couche toujours avec des morts, on couche toujours avec des morts et puis...

" J'en ai marre, j'ai peur je vous dit, il fait noir, je veux rentrer à la maison

" et puis ta plume qui imprime et déprime et les cafards qui sortent des murs et qui te rentrent dans le cœur et puis le vide qui te masturbe et t'encule avec sa queue de serpent qui te remonte aux tripes et qui crache...

L'enfant terrorisé ne peut plus bouger, paralysé par la panique, il n'ose pas même pleurer et on voit que c'est derrière les yeux, qu'il ne suffit que d'une petite pointe dans la pupille pour que les larmes se déversent sans cesser. Il a encore les mains sur ses oreilles comme des obstacles inutiles à la voix terrifiante du caliméro qui, lui, rit:

" Tu m'as demandé pourquoi je ne me défendais pas... Tu fais moins le malin maintenant !

La folie ne saigne plus, sa plaie n'existe plus, sa voix, celle des monstres qu'on imagine sortir de terre, redevient soudain affectueuse et familière:

" Allez ! Va, kid ! Va jouer avec ta locomotive...

Le bambin s'en va en courant et en hurlant des maman ! maman ! horrifiés.

Alors la mère entre dans sa chambre, un rouleau de scotch dans la main, que se passe-t-il, mon chéri ? Mais il dormait, le petiot, serein et ronronnant.

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SERPENTS AVANT

DE S'ENDORMIR

2 // Caliméro

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