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LA GRANDE HISTOIRE DE PETIT HOMME (E01)

PETIT HOMME

Cette petite figurine égarée dans la grande rue de la grande ville avec ses grands immeubles et ses grands magasins et ses grand-mères friquées qui tiennent leur grand sac à main devant leur grande gueule remplie de grande cuisine, nous l'appellerons Petit Homme.


Petit Homme est né ici, en Août.

Le soleil avait déjà séché le sang jailli, en cascade, de sa mère quand celle-ci, après un précoce "je m'en vais", s'exécuta. Petit Homme, lui, nageait dans le petit bain, innocent, sans savoir que la chute rouge, rouge primaire, sous laquelle il s'agitait, nu comme un vers, vidait à toute vitesse, la source qui ne l'abreuverait plus.

Petit Homme grandit avec son père. Celle à qui il n'avait jamais dit " maman" reposait alors dans une larme pudique du tuteur tordu par le poids de la retenue. Papa s'était promis de la garder en paupière afin de ne pas éclabousser la petite progéniture. Il y avait dans son œil la bougie noyée du deuil impossible et dont la mèche était de chair orpheline.

" - Que veux-tu faire quand tu seras grand, Petit Homme ? demandait la maîtresse à l'élève évaporé. Il n'avait en tête que son crime.

- J'ai tué maman. Quand je serai grand, j'irai en prison.

- Tu n'as pas fait exprès, Petit Homme ! " Le rassurait-elle, en vain.

C'était vrai; il n'avait rien voulu d'un tel départ dans l'existence. Il n'avait pas désiré qu'on le sème, cependant dans l'amour, dans un cocon morbide. Il n'avait pas désiré les conséquences non plus; et il voyait chaque soir son père rentrer, livide et vieilli, de l'exténuante usine où il se sacrifiait, où les souvenirs le martelaient à la chaîne au bout de laquelle il tenait le temps en boulet.

Son père était pourtant beau comme un camion sur le sépia. Un jeune loubard avec des pantalons oranges, certes; un solex trafiqué, oui; mais beau baba ! cheveux longs et crinière ruisselante de lion, rugissant de colère sur quelques barricades inutiles, ou de plaisir quand ses lèvres faisaient proie des cuisses de l'antilope dont il était épris.

 

 

 

Fruit d'un luxurieux hasard, Petit Homme tomba du ciel, d'un septième ciel où, dans le coton d'un nuage, Papa et Maman avaient planté une part - et la meilleure_ d'eux-mêmes. Comme si, au dieu Désir, les amoureux mortels s'étaient accouplés d'abord, créant chacun leur demi-dieu pour n'en former qu'un entier en l'antre de madame

 

L'apparition divine dans les petits coups de pieds, dedans le ventre.

" - Viens sentir ! Viens sentir comme il bouge !

Diriez-vous à un miracle de revenir plus tard ? car pour eux, c'était cela, un miracle. Ils tenaient à cette épiphanie plus qu'à tout.

La mère de monsieur disait: " Vous êtes jeunes... Vous êtes vraiment prêts ? "

Elle répondait: " Vraiment !"

Le père de madame disait: " N'est-il pas un peu tôt ?"

Elle répondait: "Il est temps !"

En réalité, c'était tôt, trop tôt sans doute pour lui, pourtant enthousiasmé comme il se doit quand on veut les choses; trop tôt pour que ce père à venir cesse de cueillir dans les vergers luxuriants qu'il venait de découvrir fleurs, goûts et arômes qu'ils avaient à offrir. Les mots, la peau, les musiques, le souffle, les images, la toile, l'art, l'instant, tout ça. Tout ça, c'était son truc. Monter à l'échelle, seul, de jour, de nuit, pour trouver sous les feuilles bariolées les bestioles inouïes, les fruits défendus, citrons acides, raisins de la colère, fraises sauvages, poires en forme de concerto, oranges mécaniques ou de Jérôme Bosch, toujours de la passion, ces fruits; de la passion salivant en tous sens, pressée contre son cœur par les yeux affamés, dévorée jusqu'au moindre pépin, le nectar enivrant gloutonné en une seule gorgée d'émotion, dégusté, goûte à goûte, ceci est mon sang, un bon graal d'ambroisie, tété comme le sein, ceci est ma vie, jusqu'à la soif encore alors c'est reparti.

C'était un truc dont il exigeait la magie plutôt que l'illusion.

Il disait:

" La magie c'est répandre le vide dans la colombe. Pour la faire réapparaitre, il faut vomir de l'existence dans son fantôme…"

Cela nécessitait du temps et du travail, un travail à plein temps donc, qui ne rapportait, et souvent pas, qu'à long terme.

Notre enfant, il sera beau et intelligent, notre enfant.

La grossesse arrivait à terme.

Huit mois, déjà ! Et déjà, bébé, avant même son expulsion, avait besoin de ça et ça et ça et ça et ça et d'un horizon défriché.

Papa a la tête entre les mains et les sous dans la tête lui re-tirent la langue alors... Alors, dressé sur un barreau de son échelle comme un oiseau avant l'envol; comme un oiseau, les yeux fixant derrière les barreaux d'une cage ouverte l'en dehors des migrants; comme un oiseau zyeutant, sous son aile, à même la cage, l'œuf bientôt gercé, il choisit de voir la grille se fermer à son bec et, y laissant sa plume, accouva sa nichée.

Derrière beaucoup, beaucoup de joie, il avorta du silence des pages qui se tournent:

"- J'écrirai de grands livres plus tard, mon amour... Il nous faut de l'argent pour élever Petit Homme. A la cristallerie, ils ont toujours besoin de main d'œuvre.

L'œuvre promise restait suspendue au-dessus de sa tête, comme une auréole, toutes les longues journées où il trimait; et chaque matin, avant qu'il ne bleuisse sa personne en schtroumf prolétaire, l'homme se répétait, tel un devoir pour la maîtresse:

" - Ce soir après le boulot, je m'y mets ! _ mais l'impuissance lui chipait son orgasme et cette maîtresse le délaissait cruellement, ses draps de papiers refermés sur d'autres amants aux triques plus généreuses.

En effet, chaque soir, après le boulot, bleu délaissé, les mains encore sales dessinaient sur la feuille blanche le bruit des machines; rien ne transparaissait d'autre que cette marée noire abstraite, une tâche aliénante de crasse et de cambouis.

L'enfant naît et la petite dame meurt.

La petite dame meurt et l'enfant naît.

 

 

Papa aurait voulu écrire la douleur mais le goût était perdu; l'encrier ne lui donnait plus à boire que, au teint de ses idées, la couleur de cette magie vomissant l'existence du corbeau dans la colombe vide.

Il pensait parfois aux fiançailles virevoltantes des lettres et de sa main svelte d'adolescent puis il regardait ses paluches sans finesse, toutes cornues et dégueulasses, ne sachant écrire pour les yeux de sa belle que les feux puant dans les cheminées de l'usine; ne sachant écrire pour les seins de sa belle que les monticules de cendres, ne sachant écrire pour la bouche de sa belle que les grilles incisives de l'usine, ne sachant plus écrire.

" - Tu ressembles à ta mère, Petit Homme !

Il avait poussé.

Il regardait, haut comme trois pommes, son père fermer les livres qu'il venait d'ouvrir et les yeux qui ne tenaient plus les lignes.

" - Tu lis quoi, Pa ?

" - Rien, répondait-il, extirpé d'une lune de miel dépromise, avortée et sombre. Tiens ! Prends-le !

Ainsi, le petit pouce d'abord posé sur la première lettre se mit à tracer un long chemin, un très long chemin, puis un autre à partir d'une autre lettre, et un autre et encore un autre. Il ne voyait jamais le bout de ces traverses, à tel point que, suspendu à la dernière ligne, droite ou tordue, de la route qui prenait fin, il ne pouvait s'empêcher de verser une gouttelette sur le point fatal comme sur le bout du monde. Il arrosait la terre en offrande à maman. De cette larmiche un océan et de cœur battant comme on fauche l'itinéraire des jungles, il en ouvrait les vagues et se laisser amener.

Oh ?!?!

Ce n'est pas la fin du monde !

Encore ! car le pouce grandissait et tous ces chemins, comme les fils d'araignée du soir-espoir tissent des toiles, dessinaient une gigantesque carte dans sa tête.

Quand Madame Mariton, la voisine qui s'occupait de Petit Homme et de son père en substitution à la défunte avec qui elle entretenait une amitié profonde, criait A TABLE !, la soupe était froide quand il arrivait ou l'assiette déversée dans la marmite quand il n'arrivait pas, quitte à préférer le réchauffé.

Papa, sifflant une dernière gorgée de merdoc avant de s'en resservir un petit pour la route qui l'amenait au lit où il s'allongeait, en serrant très fort la mémoire de sa femme contre lui, voyait, à la fois fier et même un peu jaloux, atterrir le Petit Homme, déjà plus grand que lui, la main agrippée au livre. Il se murmurait, à l'intérieur, sans que la pensée ne déborde:

" - Tu deviendras ce que j'ai pas pu être !

Pas pu, pas su.

Si ce songe allait plus loin, la rancune plaçait entre le fleuve et son affluent un barrage cruel car, des tréfonds de son ciboulot, émergeait encore, venimeuse, l'idée selon laquelle, s'il n'était rien aujourd'hui qu'un maillon de la chaîne à broyer les vies, si le monde tendait à l'oublier comme on oublie tous ces humains maillons, si ses poignes, vouées à plume, se dégoûtaient d'être à outils et d'être outils, c'était de sa faute, de sa faute à lui, Petit Homme arrivé tôt et trop tôt.

" - Pa !

" - Hmmm ?

" - Je vais partir.

Le téléviseur engloutit les couleurs dans son antre, avala tous ces piaillards et lisses figurants pour ne laisser, entre ses lèvres, que le reflet silencieux d'un adieu.

" - M'dame Mariton m'a dit qu'elle allait s'installer ici. C'est bien...

" - Tu vas où ?

" - J'sais pas encore... J'vais voir.

Toute objection eut été vaine. Rejetée comme le coup de maillet d’un juge ayant déjà délibéré. Kerouac et Miller et Cendrars et Conrad lui avaient donné faim et l'œil las de Papa devant l'assiette que la vie lui servait lui donnait l'appétit pour tout autre met.

Il embrassa son père en deux fois. Une première, un abandon pressé. Une seconde, l'émotion d'un départ.

" - Ecris de temps en temps.

" - Je ne ferai que ça.

 

 

 

 

 

Voilà. Cette petite figurine égarée...

Comme une étrange coïncidence, après le pouce sucé à défaut d'un téton, après les pouces vagabonds errant sur les lignes de vie manuscrites et leurs chemins de papier, le doigt fut levé, à l'inverse des antiques mises à mort, vers le ciel.

Les jeux sont faits ; l'enfant dit:

Pouce !
S’il arrête le temps, le petit doigt a cependant grand peine à arrêter les voitures

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