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Laissons donc à ses affaires intérieures le Grand Roi qui, pour revenir sur l’une des blagues d’un de ses amis des Pays Gris, avait toujours trouvé plus confortable de rentrer son chibre dans le cul de ses servantes plutôt que de perdre son temps à faire rentrer son pays dans l’histoire. Ils avaient bien ri, tous deux, lors de leur rencontre au sommet afin d’amoindrir la pénétration abusive des immigrés clandestins dans l’enceinte des Pays Gris. Tout cela s’était conclu dans la joie d’un maquis de luxe où ils avaient évoqué, entre cognac, vin de palme d’Oussouille, et champagne, quelques transactions financières à peine chuchotées qu’à son tour, votre humble conteur refuse de faire rentrer dans cette histoire. Pour le moment.

Mais revenons à notre petit ministre déchu qui, mine de rien, s’arrangeait fort bien de sa déchéance.

Il quitta le palais royal en feignant le désarroi d’un homme public que l’on envoie manger avec les vaches. Il fit quelques mètres à pied en se lamentant de l’inconfort de ses crocos dans l’exercice de la marche. Il prit donc un taxi pour faire les deux cent derniers mètres qui le séparaient de son bureau où il comptait récupérer quelques effets personnels. Devant son coffre-fort blindé où il fit tourner la molette sur les quatre chiffres de la date de naissance du Roi, il ne put s’empêcher de succomber à un éclat de rire empli de soulagement :

« Le plus dur, parlait-il à son coffre dont il ouvrait tranquillement la porte, c’était de garder sa tête. Chose faite ! A moi la retraite ! »

Ses pupilles brillèrent de mille feux tels qu’à un cambrioleur découvrant le magot d’une banque. Combien y avait-il ? Des millions ! Que dis ? Des milliards en grosses coupures. Il poursuivit, rendu ventriloque par l’exaltation de la poche remplie, son monologue à plusieurs voix, imitant, fort de douze années de collaboration politique, sa majesté aux traits grossis, comme des enfants jouent à faire fanfaronner les indiens et les cow-boys :

« Monsieur plus rien du tout / Oui majesté / Dégagez ! / Avec plaisir, monarque de pacotille! Gardez donc votre petit royaume ! Je m’en vais visiter la tour Eiffel… A moi, Pigalle ! I’m singin’ in the rain… I’m singin in the rain… »

Tout en gesticulant, frénétique, dans une danse de la pluie sans nuage, il remplissait sa mallette en cuir véritable de mouton chinois de tous les billets qui se trouvaient à l’intérieur. Attirée par le bruit, sa secrétaire rentra dans le bureau :

« Tout va bien, monsieur le ministre ?

Il s’empressa, en un éclair, de fermer la mallette et il s’abattit dessus, motivé par un nouveau public dont il avait toujours su admirer le travail :

- Mon p’tit oursin, pleurnichait-il, c’est la fin, le déclin, je suis fini, perdu, humilié, j’ai été démis de mes fonctions… Je ne suis plus rien du tout. »

Elle vint le serrer entre ses bras comme une mamma pleine de réconfort et, déjà la tête emmitouflée dans sa poitrine monumentale, il prit le temps, avant sa fuite, de savourer, pour la dernière fois ce qu’il avait toujours préféré au sein de sa fonction. La tétée de sa secrétaire.

Le premier ministre se félicita d’avoir besogné celle-ci sans la typique promesse de promotion qu’il ne tenait, de toute manière, jamais. Il descendit paisiblement les huit étages que l’ascenseur, en panne depuis cinq ans, ne desservait plus, faute à l’enveloppe consacrée à sa réparation qui s’évanouissait toujours dans la nature avant d’atteindre la porte de l’ascenseur. La mallette harnachée à son poignet, il siffla un taxi, négocia un prix dérisoire en menaçant le chauffeur de lui confisquer sa licence, lequel baissa la tête et se contenta d’un « baxna, montez ! »

« Ah mais je vous reconnais, lança le conducteur en mâchant son sotchou… Vous êtes le premier ministre…

La radio annonça l’éviction du premier ministre et comme sa remarque précédente s’était perdue dans le grognement monstrueux de son moteur autant que dans l’actualité, il reprit celle-ci :

« Ah mais je vous reconnais… Vous êtes l’ancien premier ministre…

- Les nouvelles vont plus vite que votre R13 toute cabossée et déglinguée…

- Eh c’est pas de ma faute hein ! A chaque fois que je parviens à économiser mille francs sur ma journée et que je compte rafistoler mon automobile, je croise le même gendarme qui me les soutire… Tous les soirs, il est là… A cinquante mètre de chez moi… Alors voilà pourquoi, monsieur l’ex premier min… »

Sa voiture, sans avertissement préalable, implosa dans un rond-point ; le moteur cracha par son capot une fumée épaisse et brune ; la vitre-avant gerça, se gravant dans le verre de magnifiques motifs cubistes avant d’éclater aux yeux du passager dont cette toile pareille à de glace fendue avant l’hydrocution allait être le dernier souvenir avant que la carrosserie ne s’écroule comme un château de carte ; le feu prit, nourri par les banquettes en fausse-peau de jaguar ; ouf, le taximan, choqué mais encore vif et conscient, eut le temps de sortir la mallette car, comme chacun sait, une mallette de ministre est toujours plus importante que le ministre lui-même. Ce dernier flamba avec le métal jaune qui noircissait et une odeur pestilentielle de légume pourri s’imposa dans tout le quartier tandis que les quatre-quatre rutilants de toutes les couleurs autochtones de ce quartier, qui le suivaient, empêchés, klaxonnaient à tue-tête.

Le chauffeur se faufila dans la foule aguichée, mallette en main, se retourna une seconde pour un dernier au-revoir à son automobile par-dessus les épaules et prit le premier bus vers chez lui. Il regardait avec une once de culpabilité et beaucoup de curiosité la valise posée sur ses genoux qu’il se retenait de ne pas ouvrir.

Xaliss

UN CONTE AFRICAIN // 2

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