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Gosse,

Tu peux arrêter de tapoter des doigts sur ton truc, ça me fatigue, lâche ton écran des yeux, reluque un peu, t'as vu le ciel ? Tu l'as pas, ce ciel, dans tes applications, hein gosse? Oh ! Je te parle ! Quoi "quoi?" ? Si tu passais pas ta vie avec ce casque ridicule sur tes oreilles, t'entendrais ce que je te dis ! Je te parlais du ciel !

- C'est mon fond d'écran, le ciel ! Et en plus, il le changent tous les quart d'heure...

Ah ouais ! T'es bien avec ça ! Et les oiseaux, ils les font glisser, les oiseaux, sur ton fond d'écran ?

- Y a plus d'oiseaux, monsieur !

Comment ça, y a plus d'oiseaux ! Et ne m'appelle pas "monsieur" !

- Je les ai tous tué ! Enfin, moi j'ai tué tous les moineaux et Alex devait zigouiller les perroquets et Léopold les pies et Fanny les hérons et Gontran les cordons bleus et Paul les...

Mais de quoi tu parles, gosse ?

- Vous vous pouvez pas comprendre parce que vous vivez dans le monde d'autrefois mais bientôt vous allez regretter d'être restés là-bas, au pays où les oiseaux chantent... Vous nous supplierez de vous héberger et nous, on rigolera bien !

Tu me fais penser de dire à ta mère de t'envoyer chez le psy !

- Je l'ai dans mes applications, le psy ! Son divan est très confortable ! Il m'avait dit que je devais régler mon œdipe alors je vous ai tué, monsieur

Et ma main dans ta gueule, elle est très confortable aussi ?

- Vous avez vu, depuis que je t'ai tué, maman est très gentille avec moi ! Elle m'offre tout ce que je veux... Et elle me laisse la téter de nouveau... Mais maintenant, je dois vous laisser, monsieur, j'ai ma mère sur une autre ligne. Je dois lui dire combien je l'aime. On se rappellera, si vous voulez, j'aime beaucoup discuter avec des gens qu'il me semble avoir connu dans une autre vie... Et puis vous me faites rire, avec vos oiseaux et vos mains sur ma gueule...

Mon fils s'est alors englouti dans l'écran et le ciel est tombé sur mes épaules en m'enveloppant. Tous les oiseaux, assommés, étaient au sol. Et moi, à quatre pattes, je cherchais à me dépêtrer de cet inouï drap bleu dont je n'apercevais aucune issue. Quelques secondes plus tard, on me marchait dessus par delà le tissu. J'avais beau crié: Eh, je suis là, faites gaffe, bordel !

Mais ils étaient comme ces gamins qui s'amusent à shooter du pied les monticules des taupes sans penser un instant à la bestiole qu'on enferme là-dessous.

Au loin, y avait deux lumières très fortes, plein-phares, l'une à côté de l'autre. Le ciel s'alourdissait et je commençais à étouffer. Je rampais jusqu'à là-bas et un carreau se faisait de plus en plus précis, et toujours ces deux lueurs de plus en plus aveuglantes.

J'ai mis mon visage à travers cette lucarne au creux de laquelle une sorte de cellophane m’empêchait d'aller plus avant.

Tes yeux brillent, mon amour, ça me brûle.

Laisse-moi te toucher. Ou juste, laisse-moi sortir.

Non, divertie, amusée, la main posée entre ses cuisses, elle me regardait cogner, de l'intérieur, vain et misérable, cet écran qui nous séparait et dans lequel je me suis asphyxié comme un con en crispant d'une dernière poigne le plumage d'un piaf qui ne s'en souciait plus.

ECRAN

TOTAL

TV APOCALYPSE
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