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Je suis un grand garçon

J'ai défait mon enfance

Limé les dents des souvenirs qui grignotent les yeux

C'est bien fini, tout ça, les fautes à pas de chance

Je gagne mon argent

J'ai

J'ai

Dans la paume

Un machin plein de gadgets qui me servent à téléphoner

Te voir, t'aimer, te baiser

T'entendre, te savoir, et si le président a bon teint ou pas bon

Où tu es

Te voiler, te flouter, te charrier, te vénérer, te maudire, t'exposer

Te crucifier, t'exploser, te brûler, t'ensorceler et te laisser faire

Par vengeance ou gratuit

T'abrutir, te sourire, te peloter 

T'acheter et te vendre, te négocier

Te pelotonner et t’exécuter

Te faire pleurer, t'agenouiller, te relever, te courber

te savoir et si demain, il fera beau ou pourri

Te commander tout ce que tu aimes

Du prada, du pizza, du nada,

Du voyage à je ne sais pas où tu veux aller, mon amour

Je suis un grand garçon

Et je vais où tu veux avec tes yeux

Des planètes j'en ai plein, je t'en offre à l'appel

Et si tu veux mourir, c'est tout aussi facile

Et jouir, un peu moins mais j'essaierai quand même

Je suis un grand garçon, celui qui dit « je t'aime »

Ou alors qui dit rien, qui n'en pense pas moins

Et qui te hais aussi parce que t'es belle

Et que ta chatte ressemble un peu

Et pourtant si peu

Et trop aussi

Au souvenir d'une autre chatte qui ressemblera un peu

Et pourtant si peu

Et trop aussi

A une autre que je n'ai pas connu

Je suis libre

Libre comme deux pattes suspendues à la gouttière en retenant mon miaou

Je suis un grand garçon

Je mange des bouches

J'embouche des peaux

Et, lorsque je n'arrive pas à dormir

Je vois dans la télé mon potentiel de réflexion

Et ça me fait pleurer

Parce que je mérite mieux que ce monde-là

Qui est beau et que j'aime

Ce monde-là qui est le gros silence d'un bébé qui s'est endormi

Sous le mobile de petits trucs

Qui ne ressemblent à rien

Et trop aussi

Pourtant si peu

Mais dont le mouvement est celui de nos pupilles abruties

Qui se regardent dans le blanc des yeux en se disant des mots d'amours

Je suis un grand garçon

J'attends que le feu soit rouge pour traverser

Je regarde ton corps nu et je me convaincs que tu es éternelle

Comme le sentiment

Je regarde la photo de l'enfant que nous aurons

Et je vois qu'il sera forcément plus adapté et débile

Que nous

Mais je ne nous le dis pas

Je dis simplement que s'il tombe de tes bras

Nous demanderons à quelqu'un de ramasser les morceaux

Et de le livrer à cet artiste très côté qui fait de l'art avec de la récup'

Nous n'achèterons pas l’œuvre

Mais nous voudrons volontiers que nos noms apparaissent dans son titre

Je suis un grand garçon

J'ai mis un billet dans une poche différente pour qu'il puisse me servir

Quand ceux de la poche habituelle ne suffiront pas

Dans dix jours, si la chance brille

Autant que cette saloperie d'enseigne lumineuse ne clignote en bas de chez moi

Pile poil sous ma fenêtre

J'y en mettrais un deuxième

Puis trois et dix et quatorze et soixante-sept

Et je ne m’arrêterai pas

Je suis un grand garçon et lors

Plutôt que les moutons

Chaque soir, je compterais

Je compterais ces petits biftons

Chanceux de n'être pas de ceux dont je me débarrasse

Contre trois cibiches

Et un café

Une amstel

Des épinards ou du yotox

Ou de la bouffe pour chats

Je suis un grand garçon

Je ne me curerai plus jamais les narines

En revanche, si l'envie venait au restaurateur du rond-point

Plus haut

Le rond-point où la mobylette est tombée sous la pression d'un bus

Avec la jeune fille à l'arrière qui a perdu son casque

D'envoyer son commis le faire à ma place

Et de tirer quelconque entrée du jour avec ce qu'il en sort

J'y inviterais mes maîtresses préférées

Je suis un grand garçon

J'ai reçu une belle carte avec une Marianne dessinée sur un fond tricolore

Je me la suis mise dans la poche intérieure

De ma veste bien griffée

Je ne rate plus les dates des isoloirs

Je ne me moque plus des chaussures de mes voisins

Il m'arrive toujours d'y faire pipi

Mais plus exprès

Je mets toujours le billet le plus vert dans la cuvette

Je regarde ma montre dont la matière me provoque des allergies

Tout en les dissimulant

Je sors et je m'excuse mille fois de ma langue qui fourche

Quand je dis « au suivant » en pensant « au revoir »

Je prends alors ma voiture

Je roule vite et lorsque les gendarmes m’arrêtent

Je baisse la tête

Je me fais petit garçon

J'accepte l'amende avec plaisir s'ils ne veulent pas des promotions de ma boutique

Je rentre

J'appelle mon beau-frère qui travaille au commissariat central

Je le laisse m'engueuler un peu le temps que ses couilles enflent

Et je le remercie d'agir en ma faveur

Après tout ça, je vais culbuter ma femme sur la table de la cuisine

Et si elle me demande pourquoi

Pourquoi je l'ai appelé Marianne à la fin des préliminaires

Je la transperce avec un couteau à viande

Je demande à quelqu'un de ramasser les morceaux

De les livrer au boucher afin qu'il les déduise de mon ardoise

Ma femme est tendre

Je suis un grand garçon

J'ai une vision plutôt lucide du monde

J'attends donc de gagner au loto

« Qu'il soit trop tard"

La retraite

Le déluge

Une vierge ou plusieurs

Le dégel

La nuit

Je souris aux agriculteurs qui font des légumes qui ne pourrissent pas

Je renouvelle régulièrement mon dentier pour mettre l'ancien sous mon oreiller

Je ne perds pas de temps

Nulle part

Sauf au stade, un hobby

Je me cache avec mon fusil à air comprimé

Je ne tire que dans les jambes

Ça m'apaise,

C'était ça ou le yoga

La comptable de ma boutique de fauteuils roulants a tranché

Les footballeurs arrivent deuxièmes

Entre les mutilés de guerre et les étudiants aux beaux-arts

Ceux qui ne veulent pas faire la queue devant les musées

Je suis un grand garçon

Il n'y a rien que je ne place plus haut que le nombril des autres

Je suis un grand garçon et parfois, je le leur suce

Alors

Il y a deux réactions possibles

Ça les énerve et je me flatte de connaître leur point faible

Ça les excite et je les range alors dans la poche de ma veste bien griffée

Aux côtés de Marianne, endormie ou morte étouffée

Et de l'alliance de ma femme que le boucher m'a gracieusement ramenée

En m'avouant qu'elle ne valait rien

Je l'avais pourtant payée un bras

Ma femme, nota bene, pas la bague

Je suis un grand garçon

Je suis un grand garçon

UN GRAND GARCON

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