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Le tam-tam téléphone personnel du roi résonna à l’autre bout de son salon. Le garde, un gentilhomme dévoué, lâcha les deux bâtons avec lesquels il avait sonné pour enfourcher son âne et traverser le salon. L’âne arriva essoufflé au pied du trône et le garde, en descendant de sa monture, remercia la bête d’une de ses amicales marques de reconnaissance qui exaspérait celle-ci.

« Allo ! Brama le roi.

- Majesté ! Se courba le garde. Votre premier ministre demande audience. »

Le roi regarda d’abord sa montre puis la jolie femme en mini-short zébré qui se tenait à son genou droit et qui lui souriait de tous ses crocs puis répondit au garde :

« Je ne suis pas là pour le moment. Qu’il laisse un message. »

Tandis que le gentilhomme remontait sur son âne grimaçant, le premier ministre arriva à toute vitesse et en furie, se courba à son tour, très brièvement quant à lui, afin d’exposer l’urgence de la situation :

« Majesté, le peuple est très en colère… »

Le roi, d’un discret hochement du menton,  invita sa charmante compagnie à se retirer, laquelle se redressa avec langueur dans une chronologie des membres qui n’épargnait les regards du roi d’aucun de ses avantages.

« Le peuple, mon cher ministre, est toujours en colère à la période du jeun. L’estomac se serre. Le cerveau est moins hydraté. Le corps se crispe. La frustration sexu…

- Majesté, le ramadan est terminé depuis douze jours. »

Il scruta à nouveau et de plus prêt sa rolex et tenta d’en discerner l’option calendrier cachée derrière l’itinéraire des aiguilles.

« Tout à fait. Je vais, à ce propos, grignoter quelque chose. »

Il fit tinter la petite clochette toujours suspendue à son accoudoir et, en une seconde, un plateau de tous les fruits de toutes les mers apparut, suivi de très près par un plateau de fruits tout court.

- Alors, mâcha-t-il avec une gambas dont il préféra ne pas couper la tête, que se passe-t-il encore avec ce peuple ? »

Le premier ministre eut un petit sourire gêné et, en chassant d’un revers de main l’œil de crevette que sa majesté venait de lui postillonner sur son boubou avec le « p » du peuple, il s’expliqua :

« Vous n’êtes pas sans savoir, Majesté, que votre peuple a faim. Le travail manque. Chacun se débrouille comme il peut pour nourrir sa grande famille. Les étudiants n’ont qu’un rêve, c’est de passer la frontière des pays gris. De plus en plus de jeunes filles se prostituent en cachette pour glisser l’argent dans la poche de leur mère en mentant sur sa provenance, les coupures d’eau et d’électricité se font de plus en plus courantes…

- N’est-ce pas le principe de l’eau courante ? S’étouffa-t-il dans son propre calembour qui ne fit rire que lui. Le ministre enchaîna, avec un froncement de sourcil qui frôlait l’impertinence mais que le roi ne remarqua pas :

- Le climat de plus en plus imprévisible provoque des inondations auxquelles les gens ne peuvent rétorquer, puis les dégradations qui en découlent, les semblants de route qu’il y a dans la ville sont défoncées, les campagnes capables de produire fruits et légumes se plaignent qu’on les oublie…

- Oui, bon… Et alors ?

- Figurez-vous, Majesté, qu’un journal a fait paraître hier un article intitulé « Le Budget mensuel du roi » où elle évoque entre vos sauteries avec vos amis des pays gris à qui vous avez vendu le port de la ville et vos promenades au vieux nouveau monde où vous offrez volontiers un collier de diamants à une chanteuse originaire d’ici qui aime montrer ses seins dans ses clips de R&B là-bas, l’achat de vos deux dernières voitures, de votre dernière maison, de vos quatre investissements immobiliers sur la grand ’place et la dot de votre dernière femme… »

Le roi, peinant à décortiquer son crabe, redressa son visage :

« Merci mon brave. Vous m’avez bien diverti… C’est fou le nombre de choses que je peux faire en un mois, moi… Quoi d’autre ?

- Votre statue, majesté… Elle indique le somme que vous avez payé pour son érection...

- Son érection… suspendit son Eminence, la bouche ouverte d’où jaillissait une longue langue ruisselante… Comment est-elle ?

- Majestueuse… lui rétorqua-t-il en cherchant le mot juste et en ouvrant les bras à largeur de cette justesse.

- Très bien… Très bien… se satisfit le roi en se frottant la braguette plaquée or.

- Mais quand même, vous avez fait appel, pour celle-ci, à des promoteurs et de la main d’œuvre de la jaune contrée et pour cela, bradé nombre de parcelles de la capitale en échange… C’est indécent… »

L’adjectif piqua au vif comme un moustique sur le cul. Le roi s’en redressa abruptement et, dans l’étouffée de la colère qui le démangea spontanément, il eut un sourire narquois qui le réinstalla sereinement au fond de son trône.

« Mon cher ministre, ce dernier commentaire me désole d’autant plus que vous m’êtes plutôt, en comparaison avec votre prédécesseur dont l’homosexualité m’a obligé à le faire décapiter, sympathique. Vous n’êtes pas un pédéraste, mon cher ministre ? »

La question le mit mal à l’aise. Le ministre baissa les yeux au sol afin qu’on ne puisse déceler dans son regard la faille d’un refoulement qui n’existerait que dans un subconscient très profond et qu’il ignorerait lui-même. Tout en songeant à Ibrahima, un des jeunes camarades de football de son enfance avec qui, bien plus que le ballon dégonflé sur la plage du Lieu de Prière, il avait partagé ses premières masturbations _ à qui giclerait le plus vite, il se justifia :

« J’ai quatre femmes, majesté. De quinze à cinquante-deux ans.

- Cela n’empêche… Mais bon, félicitations. Vous pouvez garder votre tête et quitter le pays. Je vous exile pour la maudite période de… Fatou ! Dites-moi un chiffre entre 50 et 250 ? »

Fatou revint dans le salon en se dandinant du zèbre. Sa démarche avait le rythme du cliquetis des bracelets de perles qui tintaient sur ses chevilles.

« 173, majesté. C’est mon chiffre porte-bonheur.

- Soit. Merci ma chérie. La maudite période de 173 ans… »

Le roi eut un regard ému sur les rayures de la gazelle qui s’éloignait. Les cheveux hirsutes s’entremêlant sous la couronne en bois de ses pairs, il semblait alors un lion endormi qui, les rayons du soleil lui écartant les paupières à la manière de pieds de biche, découvrirait à son éveil, une proie peu farouche broutant la savane à quelques pattes de lui. Le songe du prédateur s’interrompit court.

« Wy niko. 85 ! S’empressa de négocier le ministre.

- Ah non… Wy nico ! Wy nico ! Avec vous, il faut toujours wy nico ! Wy nico mon budjet personnel, wy nico le chômage, wy nico la pauvreté… Et s’il n’y a plus de pauvres, qui va m’envier ? Et moi je veux qu’on m’envie, j’adore qu’on m’envie à tel point que j’envie presque les gens qui m’envient pour pouvoir être envié par moi… Et puis, de toute façon, wy nico les wy nico : 85, c’est pas assez… Pour vous, parce que j’ai bien connu votre père qui m’a donné une de ses petites-filles, je veux bien descendre à 165…

- Cher na lool ! C’était ma fille quand même… 100, c’est bon ?

- 150, n’en parlons plus… Le roi a parlé ! » Conclut-il, net et sans bavure. Il avait entendu cette sentence dans un film américain sur les chevaliers de la table ronde. Il aimait la répéter, le matin, devant l’un des six miroirs de l’une de ses treize salles de bain pour la retenir. Quatre mois plus tard, il l’avait complètement intégrée à son lexique, si bien qu’avant qu’il ne s’en lasse, il la plaçait à la fin de chacune de ses phrases. Le roi avait ainsi parlé et le premier ministre ne pouvait plus rien faire. Il acquiesça donc en tentant, à ses risques et périls, une dernière tentative. Son élocution hoquetait de peur au rythme des perles de sueur qui flic-floquaient sur la mosaïque du parterre; une très belle représentation du roi sur un cheval hennissant, tous deux la crinière hérissée, au-devant de la grande bataille pour l’indépendance qu’il ne fit, réellement, pas puisqu’il était alors étudiant en sciences humaines dans le pays gris occupant.

« Mais le transport est pour vous… »

Le roi se sentit las et Fatou, qui jouait avec son mini tamtam téléphone électronique, appuyée sur une des colonnes de l’atrium du palais l’orienta vers des décrets plus concrets :

« Monsieur le premier min… Monsieur plus rien du tout...

- Oui, majesté.

- Dégagez ! » rugit-il enfin, faisant dans son souffle reculer de quelques mètres le politique déchu, lequel s’en trouva sur le cul, regardé d’un œil condescendant par l’âne du garde et le garde lui-même qui lui ouvrit la porte. Pour conclure ce chapitre avant que l’ensorcelante Fatou ne convoque la censure du Royaume sur la nécessité d’une ellipse, sa Majesté répéta, d’un ton amusé: « indécent… »

Xaliss

UN CONTE AFRICAIN // 1

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