top of page

Tragédie Ogre

Chapitre deux

II.

 

Dans la gorge endiablée dont la glotte est ouverte,

Il scrute sa routine et, de deux yeux alertes,

Panoramise, moud le grain de son moulin :

C'est un troquet bruyant où tout un chacun feint,

Se toise, se méfie, se séduit sans qu'aucun

N'ose se mélanger. Notables à butins,

Fonctionnaires moyens, canailles à trois sous

Envient, en s'y croyant, le rôle d'un plus fou,

D'un plus riche, plus beau, plus sauvage, moins gros,

Plus voyou, moins voyant, plus important, moins sot,

Plus transparent, moins terne et personne n'est soi,

Et chacun joue à l'autre aussitôt qu'il s'assoit.

Oubliez-vous, messieurs ! (Devise des hôtesses)

Notre cul est le vôtre et nôtres sont vos fesses !

 

Aucun, en intérieur, n'a entendu le cri

Du quatrième, tant occupés qu'ils essuient

De ce revers de masque leur existence ailleurs.

Comme renaître ici n'est que si là-bas meure.

Fi de la faculté d'être au monde en dehors,

Ce cocon enfumé donne au faible du fort.

Le servile valet s'enrôle vil et roi.

Le maître se fait chienne, attachée, aux abois,

Jouissant sous les coups de fouet qu'il reçoit.

Egoïsme lubrique, ivresse lubrifiante,

Ici qu'importe alors que le Parrain soit tante,

Et que damné s'érige à courber le nanti,

S'arrondissant le dos à se sentir soumis

Puisque l'identité, la pudeur, le chapeau,

Se laissent au vestiaire comme on laisse sa peau.

 

La démarche assurée l'amenant au comptoir,

A l'endroit où deux schleks belotent sans le voir,

Concentrés sur les plis qu'ils ont entre les mains,

Leurs figures troublées par le pouvoir du vin,

Berlioz joue du coude et cligne sur le zinc,

Saluant Mélilo, demi-frère au turbin.

 

 

Tige dégingandée, la coiffure électrique,

Il concocte dans un old fashion en plastique

Plein d'un liquide épais, vermillone potion

D'herbes flottantes et d'épices tord-le-fion.

A l'autre bout du bar, une télé suspend

Le clip libidineux d'une pouf sans talent

Dans les paillettes bling d'un string et étalant

Sa chair célophanée sur le capot brillant

D'une caisse de luxe qui vroume en démarrant.

Bave dégoulinée et coi dodelinant,

Un zombi, avachi, le blanc tout écarlate,

Inhale, en s'y croyant, la fumée qui s'éclate

Au verso de l'écran, toussée du pot kité.

Pas dormi depuis quand, du sommeil acquitté,

Il crache à plein poumon sur ce recto-reflet

Ce vide d'illusion, un nuage embrouillé.

Sur le seul tabouret à trois pattes des sept

Qui assiègent le bar, le môme Berlioz jette

Son cul, gueule au frangin :

                       «  Oh ! T'as vu Monsieur Père ? »

Mélilo a ouéché et Berlioz réitére :

« Il est où ? 

              -  L'est monté ! Petit Cul a mis bas. »

Mélilo, la pincée de poivre entre les doigts,

Elance le menton vers l'escalier en bois.

« La sista a hurlé comme un poignard au foie !

Le tout-la-rue le sait qu'le colis est reçu ! »

Berlioz, du tabouret, se décolle le cul,

Happé dans son envol par le frangin qui tend

L'elixir décoré d'un salage cyan,

Quémandant son service en digne droit d’aînesse

Auquel Berlioz répond qu'il se le foute aux fesses

Et que c'est prix pareil s'il en est pas content,

Qu'il labeurt pas du bar.

                                « Grole autonomément ! »

Qu'oscille sa mâchoire qui se mord la marmonne

Pour mollarder crachoir façon qu'il s'en tamponne.

 

Plus âgé que Berlioz d'un chandelier six-branches,

Mélilo file alors son pas, tout d'arrogance,

Des yeux et de mépris, haltant à la rambarde.

Ci-ssise Tartelette au mascara qui farde

Sa trogne crevassée par les nuits débauchardes

Que cadette vampire a forcement de garde.

C'est la côte la plus convoitée des paliers.

Et pour cause, elle est jeune ; et de chair folle à lier ;

Et va, aventureuse où n'est pas assuré

Le retour du gaillard qui a payé l'aller.

Voyez donc ce bellâtre issu du notariat,

Un étudiant en stage ; et sous la gomina,

On aperçoit perler tout ce qui se transpire

D'un gars chez qui besoin a confondu désir,

Bien mal acquis le soir devant les films pornos.

Sa langue sent les draps des nuits sur son calot.

Inapte à s'avouer vouloir baiser la pute,

Refoulant le client que Miss Tarte suppute,

Il bavarde, il bavasse, il serine, gnangnan,

Sérénade baveuse au goût du sentiment.

Comme si se jouait là l'Histoire de sa vie...

Giclé de couille pleine, amour se laisse ainsi...

Berlioz feint l’intérêt pour la stimulation

Anodine que Tart', lèvres en émulsion,

Tient à ce jeune clerc, effarouché, penaud,

Aussi clair dans son jeu qu'un courtisan puceau.

Au dos des distractions de ce jeune bec blanc,

Berlioz, à sa manière, endort son rutilant

Porte-monnaie zébré, plongé en poche arrière.

L'ennuyant, faisant fi de ce fugace éclair,

En accuse le feu qui lèche son derrière

Sans soupçonner Berlioz et sa main déxtérite,

Ses pincées pickpockets, discrètes sus-décrites.

Mélilo, du lointain, lorgnant sur ce larcin,

Pauvre misère, envoie un soupir de dédain

Dans lequel il maudit, mal-elevée, piaillarde,

Allaitée au téton des vénales veinardes,

Inconsciente, indocile et irrespectueuse,

Narcisse incorrigible à l'humeur orgueilleuse,

Cette génération qui rien à foutre d'autre

Qu'elle-même, débile.  

                                En pensant de la sorte,

Il se craint un vieux con, évoquant les « d'mon temps »,

Expérience et regrets, les jadis triomphants,

La gloire silencieuse aux classes laborieuses

Confrontée à cette ère où laurier vaut le buzz.

Il s'égare et revient: vermillone potion

D'herbes flottantes et d'épices tord-le-fion

Est déjà sur la table, alors quasi-posée

Aux lèvres d'un bouctin aux lunettes embuées,

A la queue engluée sous le séant d'Alice,

Enième demi-sœur, sensible du caprice :

«  Bah dis-donc Mélilo ! Tu en fais de la tête !

C'en est une pour fuir toutes les zigounettes !

Rigole-t-elle gras, son couillon en écho.

Si Monsieur Père apprend que tu...

                                                     Et Mélilo :

- Rengaine ton dentier, ça pue l'irrumatoir !

Je fais tronche qui sied à ce que mes panards

endurent à porter de cornes et d'ampoules ! »â€‹

Feignant la susceptible moue des jeunes poules,

Ados lèchantes point mûres mentalement,

Qui, bien qu'attribuées très généreusement,

Accusent le refus de leur statut de femme,

Alice, certes moins damoiselle que dame,

Boit l'elixir bouillant d'une ferme raclée

De langue et la babine en est écarlatée.

Le Sieur au bouc a l'air bien désolé de voir

L'aphrodisiaque trink au fond de la mâchoire

De la grosse censée en profiter aussi

Si lui, qui va payer, était qui boit, celui.

Lui attrapant la gorge et inclinant sa tronche,

Il se met à sucer ce qu'il reste du punch

Sur les lèvres d'Alice. En voilà du nectar !

C'est-y qu'il peut raquer et payer le plumard

Sitôt qu'il a goûté à ce revigorant !

A jeun en la besogne est souvent moins confiant.

«  Mais lâche-moi, vieux chien ! T'as qu'à bouffer les feuilles !

T'as-t-y vu déjà ça sans que l'autre le veuille!

Jacte-t-elle tendant le glass sur les parois

Duquel les plantes glissent, humides sous son doigt

Tout granuleux de sucre. Un clebard bavouillard !

Un barman bipolaire ! Et quoi encore ce soir ?

Si Monsieur Père apprend comment tourne son rade...

Et toi, la barbichette, on raque et en balade !

T'es t'y pas là venu que pour le végétal ? »

Elle se lève, rincée, et conclut :

                                               «  C'est cent balles. »

Alors la barbichette, abrupte dégrisée,

Retire les lorgnons qui tombent de son nez

Avec un mouchoir bleu brodé des initiales,

A.P, Alvis Pernel, directeur général

Des conserves Pernel, sardine, haricots blancs,

Rouges, verts, cassoulet, en voilà du client,

Betteraves, maïs, raviolis et quenelles,

Toute votre cuisine est en boîte Pernel.

Mais à parler finance à de trop gros poissons,

Leur bouche alors se tord soupçonnant l'hameçon.

Les yeux se sont plissés et le cerveau se vide

Comme une chasse-d'eau nous désemplit le bide.

Ca se remplit de propre et les valeureux nombres,

Les plu$$$e$ et les moin$$$ que calcul désencombre,

Se mettent à tomber, façon petites crottes

Suspendues, retenues, à l'aise, avant les chiottes.

Au creux de l'équation, tuyau de forme « égal »,

Alvis, décontracté, défèque son total.

Il paye, évidemment, puis se lève, agrandi,

Ajuste sobrement son complet premier prix

Avec cette expression des bandants qui concluent

Des marchés colossaux sans se douter cocus.

Trône ce que tu peux , petit roi de conserve !

Va doncque te carrer ton algébrique verve

Ici où nous filons, sans goût, la métaphore.

Et met-ti-zy aussi les palais, les trésors

Et les veni vidi computavi vici !

N'empèche que ton vît, monsieur le directeur,

Si frétillant en banque et si ferme au compteur,

Insatiable empileur et érecteur d'empires,

Au sang chaud de la pute, est un piètre vampire !

Voilà qu'Alvis Pernel, illustrant le propos,

Ayant durci du chibre au chiffre à deux zéros,

Se voit, sitôt extrait de la cuvette argent,

Le sboubino petit, ramolli et pendant.

Ceusses-là, verrouillés dans les mathématiques,

Fétichistes du sou pour lequel, seul, ils triquent,

Ceusses-là prennent cher avec la grosse Alice.

Elle ne multiplie qu'à table des sévices.

 

Hélant le Mélilo, nécessité d'un lit

Mandé propre à plumer le bande-mou nanti,

Alice, manièrée, courtoise et ironique,

Se colle sur le zinc, y plombant ses reliques,

Instaurant chez les schleks soiffards ou beloteurs,

Un silence d'hommage au corset sanctifieur.

De retour à son bar après ronde de salle,

Mélilo s'est remis à la vaisselle sale.

Au pantalon stretché, torchon toujours pendu

Par une poche arrière où se moule le cul.

Un deuxième lui tord le poignet tournoyant

Au fond d'un verre à vin d'où c'est que nerveus'ment,

Il tâche de venir à bout de ce rétif

Nero d'avola là, tâchant comme un motif.

Il se retourne au vœu qu'Alice lui souffla :

« Tableau répartitif de chambres et d'ébats ».

Ravalant la vingt-sept en bouillon de salive

Et par humour vaseux, pupilles directives

Le forcent à confier le couple en transaction

A la quarante-deux où l'on hurle à foison,

A rameuter la ville et démotter les taupes.

Il s'autocongratule et se sourit mais flop :

Alice est sous l'effet distractif de la gnôle

Et ne lie la chambrée qu'à sa propre raccole.

Les bétonne-pubiens et les mouille-zezettes,

Les fracasse-ta-gueule enfilés à tue-tête

Ont eu raison des fils et de la connectique

Du cerveau qu'elle branche en bout de prise unique,

Lors, au seul lieu qu'envoie du jus, vl'à devinette :

N'est pas qu'homme à conduire esprit par la braguette...

« T'as pas plus haut ? dit-elle en parlant de la chamb',

En plaignant les efforts d'avant ceux d'entre-jambes.

C'est-y que mon gagn'pain, c'est mes cuisses de mouche !

- Raison pour les muscler ! » Taquine en fine-bouche

Mélilo décrochant le dit-trousseau de clefs

Au clou du numéro où va-t-y détrousser.

 

Dans les vapeurs d'encens recouvrant les relents

De sexe plus assez que de l'accouchement,

La catin ne fera, qu'à cinquante-trois marches,

Ce lien entre hurlement et lit qu'elle démarche.

A cinquant'quatrième, un des yeux vers Pernel,

Haletant comme un bœuf qu'on tranche à l'opinel,

L'autre sur le palier où le bifton l'appelle,

Elle aperçoit Berlioz, figé en maquerelle,

Son oreille tendue sur le seuil convoité,

Au timbre grave et sec du paternel, fâché :

« - Ce mouffetard, je vas te le faire gicler !

Sinon par la fenêtre, alors à coups de pied,

Te le remets au fond !

bottom of page